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Les crédits carbone : Mythe écologique ou réalité vertueuse ?

Dernière mise à jour : 10 juil. 2023

Nous y voilà, le sujet crucial des crédits-carbones.

Vous avez forcément entendu parler de la fraude à la TVA sur les quotas de carbone, ou encore du « droit à polluer » terme beaucoup utilisé par la presse pour relater des achats de crédits carbones financés par des entreprises dont la stratégie climat est plus que douteuse…

Aujourd’hui, chez re.boot on débroussaille le sujet pour y voir plus clair. Les crédits carbone sont-ils un mythe écologique créé pour donner droit aux acheteurs de toujours polluer ou est-ce un modèle vertueux sur le long terme ? Ou les deux ? 😉




Point départ, qu’est-ce qu’un crédit carbone ?


Un crédit carbone est une unité économique correspondant à l’émission d’1 tCO2eq (1 tonne équivalent CO2) dans l’atmosphère. Un crédit carbone fonctionne comme un certificat attestant qu’un dit projet a bien évité ou séquestré 1tCO2eq.


Histoire du crédit carbone, comment l’idée est venue de créer un marché du carbone ?

Ce système de crédit carbone a été réfléchi à partir des années 90, lorsque les pays signataires du Protocole de Kyoto réfléchissaient à un système pour orienter les entreprises vers la lutte contre le réchauffement climatique.

Le protocole de Kyoto est un accord international signé en 1997 et entré en vigueur en 2005. Il vise à réduire les émissions des six gaz à effet de serre (dioxyde de carbone - CO2 ; méthane - CH4 ; oxyde nitreux - N2O; hydrofluorocarbone - HFCs ; hydrocarbure perfluoré - PFCs ; hexafluorure de soufre - SF6).

Le marché de conformité (réglementé) du carbone européen a été mis en place en 2005, à la suite des engagements qui ont été pris dans le cadre du protocole de Kyoto.

Mais ce mécanisme pourtant vertueux (en tant que levier de financements additionnels pour la finance climat) souffre depuis plusieurs années d’une réputation dégradée, liée à son utilisation abusive et à un certain nombre d’écueils structurels.


Deux types de marché du carbone :

Les marchés de conformité sont créés à la suite d'une politique ou exigence réglementaire nationale, régionale et/ou internationale (comme le marché européen créé en 2005). Chaque entreprise se voit attribuer un certain nombre de crédits carbone qui lui sont propres et qui correspondent à ce qu’elle peut émettre en termes de CO2. Si l’entreprise ayant réduit ses émissions possède un excédent de quota d’émission, elle peut mettre en vente l’équivalent via des crédits carbone sur le marché du carbone. L’équivalence est toujours la même, 1tCO2eq non-émise équivaut à un crédit carbone vendable. Consécutivement, une entreprise qui n’a pas réussi à réduire suffisamment ses émissions et qui se retrouve au-delà de son quota peut alors racheter les crédits carbone d’une entreprise excédante.

Les marchés volontaires du carbone désignent l’émission, l’achat et la vente de crédits carbone sur une base volontaire : les entreprises voulant s’engager en faveur du développement durable peuvent financer des projets de réduction ou de séquestration d’émissions via l’achat de crédits carbone sur le marché volontaire, sans même être soumis à une quelconque obligation comme c’est le cas sur les marchés de conformité. L'offre actuelle de crédits carbone volontaires provient alors principalement d'entités privées qui développent des projets de décarbonation, ou de gouvernements qui développent des programmes certifiés par des normes carbone qui génèrent des réductions et/ou des absorptions d'émissions. La demande provient de particuliers qui souhaitent compenser leur empreinte carbone, d'entreprises ayant des objectifs de développement durable, et d'autres acteurs qui cherchent à échanger des crédits à un prix plus élevé pour réaliser un profit.




Spécificités du marché carbone européen

Son petit nom en vérité c’est le système d’échange de quotas d’émissions (aka SEQE). Il a été créé en 2005 afin de soumettre à une réglementation de “quota d’émission” 11 000 installations industrielles européennes, qui totalisent à elles seules environ 50% des émissions européennes de CO2.

Crédits: Photo par Christian Lue sur Unsplash.

⚠️ Le terme “crédit” carbone ne doit pas être confondu avec “quota” carbone : le quota carbone donne “droit” à une entité (pays, entreprise...) de « libérer » des émissions alors que le crédit carbone certifie que l'émission de CO2 a bien été évitée ou supprimée. Concrètement, des entreprises de certains secteurs (production d’électricité ; sidérurgie ; raffineries de pétrole ; cimentiers ; chimie ; chauffage urbain) sont sujettes à des quotas d’émissions, qui leur donne “droit” de “libérer” une certaine quantité d’émissions. Si ces entreprises dépassent leurs quotas, elles doivent acheter sur le marché carbone de conformité des crédits carbone pour “compenser” leurs émissions supplémentaires. Ces crédits carbone sont, à l’inverse, vendus par des entreprises qui ont émis moins que leur quota d’émission.


Depuis 2012, l’aviation avec les compagnies aériennes pour les vols commerciaux intra- européens sont aussi sujettes à ces quotas d’émission. Et le 14 juillet 2021, la Commission européenne a présenté une proposition de révision avec extension du marché actuel au secteur maritime et une création dès 2026 d'un nouveau marché du carbone dédié au transport routier et au chauffage des bâtiments.

Le 22 juin 2022, le Parlement européen a adopté une position commune sur le projet de révision du 14/07/21 comprenant l'élargissement du marché carbone et la suppression progressive des quotas gratuits à certains secteurs industriels. Il a également validé le projet d'une taxe carbone aux frontières de l'union. Chaque année, les États européens déterminent le nombre de quotas auxquels ont droit les entreprises concernées. Néanmoins, certaines installations industrielles peuvent parfois bénéficier de quotas “gratuits” pour deux raisons : ne pas fragiliser leur compétitivité et éviter la fuite de carbone, c'est-à-dire la délocalisation d’activités émettrices de gaz à effet de serre vers des pays où la réglementation sur ces sujets est plus souple (ou absente). Ça a l’air pas mal comme mécanisme dit comme ça non ?

Le problème majeur : compensation carbone et greenwashing

Vous vous souvenez de notre article La neutralité carbone : on remet les compteurs à zéro ? Il est encore très à propos sur le sujet précis des crédits carbone.

Les crédits carbone ont été créés pour inciter les entreprises qui sont en mesure de le faire à réduire leurs émissions, et de fournir davantage de flexibilité à celles qui sont davantage contraintes par leurs émissions de gaz à effet serre. Ce dispositif a émergé afin de réduire drastiquement les émissions de GES et atteindre les objectifs climatiques. En lien avec cela, la plupart des pays du monde se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.


Pour rappel (et c’est sûrement la définition majeure à avoir en tête sur tous les sujets climat), la neutralité carbone : c’est la situation dans laquelle les émissions anthropiques nettes de CO2 sont compensées à l'échelle de la planète par les éliminations anthropiques de CO2 au cours d'une période donnée. La neutralité est donc la compensation (= l’équilibre net) entre les émissions mondiales et les absorptions mondiales d’émissions. Définition de la neutralité carbone fournie par le GIEC (Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat) (1). Ce qui veut dire que :

"Une entreprise se disant neutre n’est pas forcément une entreprise dont les émissions baissent. Cet outil est trop souvent vu comme une manière de se défausser de ses propres obligations de réduction” Extrait d’une note de Net Zero Initiative, par Carbone 4 (2) "Individuellement, ou à leur échelle, les acteurs économiques, collectivités et citoyens qui s’engagent pour la neutralité carbone, ne sont ni ne peuvent devenir, ou se revendiquer, neutres en carbone, l’atteinte d’une neutralité carbone arithmétique n’ayant pas de sens à leur échelle. En revanche, ils peuvent valoriser leur engagement vers la neutralité carbone en 2050 qui contribue à cet objectif mondial” Avis de l'ADEME sur la neutralité carbone. (3)

⬇️ Ainsi, un engagement convaincant est donc attribuable à une entité qui :

  • Réduit ses propres émissions,

  • Réduit celles des autres (= émissions évitées)

  • Augmente les puits carbone (= émissions séquestrées)


La compensation carbone “consiste pour un financeur (entreprises, collectivités ou particuliers), à soutenir un projet de réduction ou de séquestration d’émissions de GES dont il n’est pas directement responsable.” (4) Les résultats de ces émissions évitées ou négatives (séquestrées) de ces projets sont mesurés et aboutissent à la création de crédits carbone, représentant chacun une tonne équivalent CO2 évitée ou séquestrée. Ces crédits carbones peuvent engendrer des émissions évitées ou négatives mais ne peuvent réduire les émissions induites de l’entreprise.

L’utilisation du terme “contributionà la transition est donc plus adapté à cette action, certes louable, mais mettant l’accent sur le fait que cela ne vient pas annuler son propre impact et qu’il faut ainsi l’accompagner d’objectifs de réduction des émissions.

Comment la réglementation agit sur ce (très) probable greenwashing ?


La loi Climat Résilience prévoit dans son article 12 qu’il est possible d’utiliser l’argument commercial de la neutralité carbone si l’entreprise rend publique :

  • son bilan GES intégrant les émissions directes et indirectes du produit ou du service

  • la démarche grâce à laquelle les émissions du produit ou du service sont prioritairement évitées, puis réduites et enfin compensées

  • avec la trajectoire de réduction des émissions GES décrite à l'aide d'objectifs de progrès annuels quantifiés

  • et enfin les modalités de compensation des émissions GES résiduelles respectant des standards minimaux définis par le futur décret.

Le problème qui s’ajoute au risque de greenwashing est le prix du carbone. En France, selon un rapport d’Info Compensation Carbone, le prix de la tonne de CO2 vendue en France sur le marché volontaire est trop faible (environ 3,37€/teqCO2 en 2016). Ce prix très bas n’est pas un levier intéressant pour réellement engager les entreprises dans une démarche de réduction de leurs émissions. D’autant plus que le prix d’un crédit carbone peut varier énormément selon des facteurs propres à chaque projet (localisation du projet ; durée d’évitement ou de séquestration ; qualité technologique ; nombre d’intermédiaires et commissions ; certifications ; co-bénéfices ; confiance …) Son prix est souvent compris entre 50 centimes et 50 euros la tonne d’équivalent CO2. L’éventail des prix du carbone observés dans le monde va de quelques euros au Mexique (les subventions aux énergies fossiles dans certains pays en développement traduisent même des prix négatifs) à plus de 100 euros en Suède.

Une touche de positif ?

Les projets concernés par les crédits carbone peuvent permettre sur le marché volontaire des :

→ Projets d’évitement (= émissions évitées) : énergies renouvelables, efficacité énergétique... → Projets de séquestration (= émissions stockées) : développement et maintenance de puits de carbone, naturels ou industriels, reforestation… Les crédits carbone peuvent notamment aider à financer des projets de puits carbone, comme le fait l’entreprise Net Zero, dont un des cofondateurs est Jean Jouzel, ex-climatologue du GIEC. L’entreprise transforme les résidus agricoles en biochar, une forme de carbone très stable, ensuite enfoui dans le sol pour stocker le carbone pendant des centaines d’années. Le processus est le suivant : les plantes captent le carbone lors de la photosynthèse et via un procédé de pyrolyse de cette biomasse, une partie solide stocke le carbone, c’est ce qu’on appelle le biochar. A la suite de cela, ils génèrent des crédits carbone “haute gamme” à un prix plus cher (environ 150€ la tonne) que les moyennes de marché et qui incluent des co-bénéfices aux agriculteurs tels que l'augmentation des rendements des cultures grâce à l'utilisation de biochar dans les sols et la production d'électricité renouvelable à partir de l'énergie excédentaire produite lors de la pyrolyse.



Anecdote pour la fin

L'arnaque à la taxe carbone a fait perdre à l'État au moins 1,6 milliards d'euros entre 2008 et 2009. Grégory Zaoui est considéré comme le cerveau à l'initiative de cette fraude. A l’annonce de sa libération conditionnelle, il témoigne à FranceInfo : « La première opération que j'ai faite, c'était en 2006 de mémoire. J'avais acheté pour 30 000 euros de quotas carbone en hors taxe, sans TVA. Je les ai vendus et ils m'ont payé mes 30 000 plus la TVA... 36 000 euros en quelques secondes ». Si l’histoire folle de cette fraude vous intéresse, vous pouvez regarder le documentaire Netflix, Les Rois de l’Arnaque…

Pas tant une anecdote finalement pour le montant que cela représente, non ?

 

Sources : (1) : Glossaire du GIEC - Page 80 (2) : Référentiel Net Zero Initiative par Carbone 4 (3) : Avis de l’ADEME sur la neutralité carbone



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