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Comment se libérer des pressions sociales et financières qui nous poussent à faire du M&A ?



Comme l’audit fut un des métiers les plus côtés pour les étudiants fraîchement diplômés de formations en finance il y a une dizaine d’années, le M&A reprend le flambeau. Considéré comme le métier le plus prestigieux socialement, il s’agit également d’un des métiers (si ce n’est le métier) le plus rémunérateur en sortie d’études supérieures.


Mais ces avantages ne viennent pas sans contreparties : des semaines pouvant aller entre 60 et 110 heures de travail, une exigence impitoyable due aux “success fees”¹ gourmands facturés aux clients, des burnouts fréquents, des processus de recrutement très compétitifs et un management traditionnel avec des rôles bien définis. Si les journées à rallonge et le management old school sont souvent la norme dans la plupart des boutiques M&A, ce n’est heureusement pas le cas partout - j’ai eu la chance par exemple de travailler dans une banque avec un management sain. Malgré cela, de nombreux jeunes diplômés pourtant au pic de leur forme physique finissent par mettre leur santé en danger à force de travailler sur la suite Microsoft plus de 12 heures par jour.


Ce sont des métiers qui ne correspondent pas à tout le monde. Pourtant le prestige social véhiculé consciemment par des intervenants lors de conférences, des organismes de formation pour préparer sa candidature dans ces métiers, ou inconsciemment par des camarades de promo et des alumnis de master, poussent de nombreux étudiants à y postuler par anxiété de rater quelque chose (fear of missing out) ou parce qu’ils veulent le meilleur, sans questionner leur adéquation avec ce poste.


Une fois engrené dans la matrice et après avoir fait 1 voire 2 stages de césure dans ce domaine, la toile se referme sur l’étudiant et une pression sociale et financière encore plus forte peut l’amener à postuler pour un CDI sans qu’il ne questionne ce choix. La dangerosité de ces pressions que j’ai personnellement vécues ainsi que de nombreux proches m’interroge :


Comment se libérer des pressions sociales et financières qui poussent les étudiants à faire du M&A ?


Les pressions extérieures


Commençons par un état des lieux des pressions qui peuvent amener un individu à postuler dans ces métiers.


Le degré de dépendance au groupe


Jean-Philippe Decka, dans son livre Le courage de renoncer ² explique les facteurs qui peuvent augmenter ou au contraire baisser la probabilité qu’ont les élites intellectuelles de bifurquer pour un engagement social et environnemental plus profond.


Un des facteurs les plus déterminants selon lui est le degré de dépendance au groupe duquel l’individu bifurque. Nous ne pouvons voir le monde qu’à travers un certain prisme, tant celui-ci est complexe et doté d’une infinité de points de vue, de connaissances et d’avis sur les sujets. Les personnes avec qui nous échangeons le plus impactent et nourrissent ce prisme.


Autrement dit, plus nous avons de personnes proches de notre entourage qui ont un certain schéma de pensée et d’action, plus nous pouvons être amenés à considérer ce schéma comme la norme. Être dépendant au groupe signifie alors de « cocher les cases » dans ce schéma et faire comme les autres, consciemment ou inconsciemment. Ce schéma nous vient de la pré-histoire ou nous devions suivre le groupe pour survivre, il était impossible de survivre tout seul dans la nature : nous étions donc naturellement dépendant au groupe.


Pour un étudiant qui se questionne, voir les étudiants des précédentes promotions ou d’anciens co-stagiaires partir dans des métiers de banque d’affaires, a un impact très fort sur ses choix futurs. En effet, beaucoup de conversations, de messages, de posts Linkedin, d’offres de stage partagées, de fêtes pour célébrer telle ou telle offre reçue par un ami rythment sa vie d’étudiant et biaisent son choix. Entendre des discussions sur les différentes banques, leurs spécificités, leur réputation sur le marché, les deals récents qu’elles ont signé font acquérir une vraie connaissance du marché de la banque d’investissement à l’étudiant sans même qu’il ne la sollicite.


Le degré de confiance en soi


Un autre facteur qui détermine la probabilité qu’un individu a de bifurquer du groupe social auquel il appartient est le degré de confiance en soi.

Héloïse de Visscher ³ explique ce mécanisme. Moins l’individu a confiance en lui, plus son degré de dépendance au groupe social est important. Et plus il risque d’agir en conformisme par rapport à ce groupe. Cela peut s’expliquer notamment par 2 raisons :

  • Se conformer permet de se dire qu’il est dans la norme, qu’il ne sort pas des codes auxquels ses proches appartiennent et donc que l’il ne prend pas de risque.

  • Avoir plus confiance en soi permet de confronter l’avis et la potentielle désapprobation de son entourage, ce que l’on va fuir si l’on manque de confiance en soi.

La pression financière


« Les gens travaillent en finance pour l’argent » est un cliché souvent véhiculé pour décrire ces métiers. Évidemment, certains métiers en finance sont très bien rémunérés. Pourquoi ? Beaucoup de financiers gèrent les flux d’argent, et peuvent prendre des commissions de quelques pourcentages ou bips sur ces montants gigantesques, ce qui peut amener à des rémunérations importantes.


Les masters de finance des grandes écoles de commerce sont donc bien les plus rémunérateurs avec des salaires à la sortie pouvant atteindre 100k€ hors bonus, rendant avec bonus les étudiants qui sortent d’école parmi les 1% des Français gagnant le mieux leur vie⁴. A la sortie de leurs études.


Or, ces mêmes écoles de commerce coûtent de plus en plus cher (le PGE d’HEC est par exemple passé de 35 700€ en 2011 à 61 700€⁵ en 2023). De nombreux étudiants font donc des emprunts et veulent se libérer de cette contrainte financière le plus rapidement possible.


Les offres en Banque d’Investissement étant parmi les plus rémunératrices (avec le Private Equity et le Conseil en Stratégie), il y a donc une pression financière à accepter ces offres. En accédant à cette élite financière, les jeunes diplômés font un choix stratégique pour se délester de leurs dettes le plus rapidement possible tout en maintenant un niveau de vie élevé avec des augmentations régulières.


Les leviers pour y renoncer


De nombreux outils existent pour refuser une offre d’emploi avec laquelle nous ne sommes pas en phase, quand bien même celle-ci est socialement prestigieuse ou très rémunératrice. Voici quelques-uns qui m’ont beaucoup aidé.


Sortir du questionnement binaire


Un des leviers est de sortir de la binarité du choix : accepter cette offre ou la refuser. Faire du M&A ou ne pas en faire. Il ne faut surtout pas réduire son choix de possibilité à 2.


La vraie question soulevée ici est : « Par quel métier commencer ma vie professionnelle ? », et non pas « Dois-je commencer ma carrière en M&A dans telle banque ? »


Le marché de l’emploi étant actuellement tendu en faveur des postulants, il existe un nombre de possibilités énormes. Réduire le questionnement à un oui / non ne permet pas de s’interroger sur les autres métiers qu’il est possible d’exercer et sur les alternatives qui existent. C’est en comparant les apports du M&A aux autres métiers qu’il est possible de distinguer celui qui nous correspond le plus, nous fera grandir et dans lequel on pourra s’épanouir. Ces réflexions sont à réaliser indépendamment des offres, parfois très alléchantes qui sont faites.


Consulter ses proches en vérité


Ces personnes nous connaissent depuis longtemps, parfois mieux que nous même sur certains aspects, ou du moins avec un recul que nous n’avons pas. Même si la décision finale vient du candidat seul, ces personnes ont un rôle très important à jouer et des influences notables sur cette décision.


Ils peuvent tout d’abord soutenir notre décision, et ce peu importe qu’ils soient d’accord ou non. Cela permet de nous enlever des doutes. C’est une solution confortable puisqu'on a des biais de confirmation qui valident que notre intuition est la bonne.


Mais il existe une autre position que peuvent prendre les proches, plus vraie mais plus difficile à entendre : celle qui consiste à dire exactement ce qu’ils en pensent. C’est une position difficile qui peut être source de tensions. Entendre la vérité peut nous blesser, surtout si elle ne va pas dans le sens de notre décision initiale. Une amie m’a secoué en me mettant face à mes contradictions (un besoin de sens dans mon métier que j’avais mis de côté par opportunisme), et avec du recul je lui en suis très reconnaissant. Si ce n’est pas eux qui osent nous dire que l’on prend la mauvaise décision, qui osera le faire ?


Faire un scoring de tous les critères


Un autre exercice qui m’a été très utile pour prendre ma décision est la réalisation d’un scoring de tous les critères qui peuvent influencer nos choix. Cela permet de pouvoir comparer objectivement deux métiers ou offres pour voir si l’un l’emporte sur l’autre. Les critères sont évidemment propres à chacun et peuvent être pondérés en fonction de leur importance.

Critère

Pondération

Note sur 10

Ambiance de l’équipe

Valeurs et mission de l’entreprise

Impact du travail sur l’urgence climatique et sociale

Perspective d’évolutions

Localisation des bureaux

Stimulation intellectuelle

Quantité d’information que permet d’apprendre ce métier

Intérêt pour le secteur

Tâches concrètes du quotidien (une journée type)

Rémunération

Fierté du métier : comment on en parle, est-ce qu’on sera fier du choix fait à l’instant T ?

En diversifiant les critères, cela permet de diluer l’impact des pressions sociales et financières.


Lister ses contraintes personnelles et financières


Pour se défaire encore plus de la pression financière et sociale, il est possible de lister ses contraintes et ses objectifs de vie pour voir concrètement si le métier auquel on aspire y répond ou non.


Cela peut-être un prêt étudiant à rembourser, un loyer élevé parce que l’on vit dans une grande ville, une passion qui demande du temps ou de l’argent et qui nous rend heureux, le rêve d’une position dans un fonds d’investissement, au board d’une PME ou de monter un projet en tant qu’entrepreneur.


Ensuite, notre programme peut se définir comme en mathématiques ou en microéconomie : maximiser son bonheur sous ses contraintes.

Si votre bonheur vient d’une passion d’alpinisme par exemple, mais qu’elle requiert un budget de 400 euros par mois :

  • Si vous prenez le job en M&A, vous aurez l’argent pour l’exercer mais vous n’aurez pas le temps : votre bonheur n’est pas maximisé.

  • Si vous prenez un job avec beaucoup plus de sens mais très peu rémunéré : vous aurez le temps d’exercer votre passion mais vous n’aurez peut-être pas le budget pour.

Un autre exemple de contrainte plus physiologique pourrait être le besoin de sommeil. Le besoin de sommeil étant différent en fonction des individus, si un candidat sait déjà qu’il a besoin de plus de 6 heures de sommeil pour le fonctionnement cognitif et émotionnel de son cerveau, il vaut mieux éviter un métier qui lui imposera de dormir 6 heures par nuit en moyenne. Il n’y a aucune honte à fixer ses propres limites.


Il faut donc essayer de trouver un autre métier qui répond à ses contraintes.


Trouver son ikigai


Un outil très utile quand on est en recherche de ce qu’on souhaite faire est l’ikigai. Ce terme japonais qui veut dire « joie de vivre », est un exercice qui permet de trouver sa « raison d’être » personnelle. Comme la raison d’être d’une entreprise instaurée par la Loi Pacte, il s’agit de trouver une partie de la réponse à la question : « Quelle est ma raison d’être sur Terre ? », dans le but de trouver un métier qui nous correspond.


Pour cela, comme l’indique le schéma ci-dessous, il convient de se questionner sur 4 axes :

  • Ce que l’on aime

  • Ce en quoi on est bon

  • Ce qui est important pour nous

  • Ce pour quoi l’on peut être rémunéré

Pour chacune de ces 4 parties, on peut dresser une liste d’activités, de métiers et de compétences. L’objectif est ensuite de trouver un métier qui remplira ces 4 critères.


Il permet de trouver :

  • Passion (ce qu’on aime et ce en quoi on est bon),

  • Mission (ce qu’on aime et ce qui est important pour nous),

  • Vocation (ce qui est important pour nous et ce en quoi on peut être payé)

  • Et profession (ce en quoi on est bon et ce en quoi on peut être payé).

Mais je pense qu’aujourd’hui, notre génération va chercher plus loin qu’une profession. Nous ne voulons pas simplement faire un métier dans lequel nous sommes bons et pour lequel nous pouvons être payé. Il est fondamental pour beaucoup d’entre nous d’y ajouter une cause (ce qui importe pour moi), et d’aimer profondément son métier (ce que j’aime). Ce questionnement est valable pour ceux qui ont la chance de pouvoir choisir leur métier, notons qu’il s’agit d’un privilège.


Cet ikigai m’a par exemple permis de réaliser que je voulais faire du concret : voir la réalisation du projet sur lequel je travaille directement et ne pas être un intermédiaire ou un conseil.



Conclusion


Il existe aujourd’hui une pression très forte pour un étudiant en finance à se diriger vers des métiers socialement réputés et rémunérateurs. Pour ne pas occulter ses questionnements professionnels, se réveiller à 40 ans ou après un burnout et se rendre compte que ce métier ne nous correspond pas, il est urgent de se défaire de ces pressions pendant ses études.


Pour cela, plusieurs outils peuvent aider, mais comme toute pression sociale dont on veut se défaire, il s’agit d’une quête parsemée de doutes dans laquelle il faut du courage. La finance a un rôle incontestable à jouer dans l’urgence financière et sociale, et les élites intellectuelles de notre génération ont le devoir de s’essayer à des métiers qui permettront d’orienter les flux des agents en capacité de financement vers des projets à impact social ou environnemental positif.


Quand on sort avec un beau diplôme, on a l’immense chance de faire ce que l’on veut. Pourquoi ne pas faire ce qui nous plaît plutôt que ce que la société veut que l’on fasse ?

 

¹ Frais facturés au client en cas de réussite d’une transaction ² Jean-Philippe Decka, 2022. Le courage de renoncer : le difficile chemin des élites pour bifurquer vers un monde durable ³ Héloïse de Visscher, 2016. La pression Sociale ⁴ Statistica ⁵ Mister Prépa

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